Bonjour marie-aude, l’extrait de la communication de Daniel Moatti (Chercheur associé au Laboratoire danthropologie Mémoire, Identité, Cognition sociale) résume mon état d’esprit sur la laïcité et lislam, la République française face à sa composante musulmane.
« Lislam devient un thème difficile. Etudier son impact hors des passions partisanes relève de la gageure. Commençons par le début. La France, depuis le débarquement militaire de 1830 en Algérie, demeure en contact permanent avec lislam. La troisième République, en remerciement de lengagement et de la fidélité des troupes nord-africaines, na pas hésité à créer dès 1927 la Grande mosquée de Paris et lHôpital Franco-Musulman de Bobigny (devenu lhôpital Avicenne) inaugurés par le Président de la République. En 1929, dans le grand camp militaire de Fréjus fut édifiée par les tirailleurs sénégalais, une véritable mosquée sahélienne. La fin de lempire colonial, en 1962, aurait pu signifier la disparition des rapports privilégiés, mais aussi ambigus entre notre pays et les musulmans. Cependant, larrivée de plusieurs dizaines de milliers de harkis, à la fin de la guerre dAlgérie, limmigration massive de travailleurs célibataires issus du Maghreb puis de lAfrique noire des années 1955/1974, le regroupement familial accordé par Giscard dEstaing font quil existe une population estimée à environ 5 millions de Français dorigine musulmane. Or leur rapport à la laïcité ne peut-être le même que celui des autres Français issus de limmigration européenne. En effet, les immigrés polonais, espagnols, italiens ayant fait souche en France, admiraient notre pays en tant que grande puissance dispensatrice de bienfaits économiques et politiques, la France étant reconnue, en Europe, comme le pays des Droits de lhomme et de la Liberté. Pour les musulmans issus du Maghreb et dAfrique noire, la France apparaît comme le pays colonial qui a dominé les ancêtres. En ce qui concerne plus particulièrement lAlgérie, il était demandé aux Français de souche nord-africaine, dabandonner leur statut musulman pour obtenir la pleine citoyenneté française. Ainsi la référence à lislam était au cur dune dialectique de résistance au colonialisme. Dès lors cette population méconnaît le passé de notre pays devenu le sien, ignore notre constitution. Nulle ambiguïté ne doit subsister, si les immigrants et leurs enfants ne connaissent pas le concept de laïcité, sils nont pas assimilé la notion de neutralité de lEtat en matière religieuse, cest bien parce que les structures daccueil et le système scolaire ont été défaillants. Cela peut sexpliquer par le fait que de 1970 à 1990 les politiques de droite comme de gauche comptaient sur le retour au pays. Ce mythe correspondait à une espérance des populations immigrées et aussi à une croyance de nos dirigeants politiques. Cependant, comme les populations immigrées précédentes, malgré laide gouvernementale au retour, ces populations sont restées en France avec leurs enfants et y ont fait souche.
Ce malentendu a pris une dimension dramatique. Lintégration de la jeunesse musulmane, ou dorigine musulmane, passe aussi par légalité sociale et politique, par un engagement de la société française dans son ensemble politique, administratif, économique et surtout humain. Olivier Roy propose plusieurs pistes de recherche et de reconnaissance entre lEtat laïque et lislam. Pour cet auteur, lislam européen (hors lancienne Yougoslavie et lAlbanie) est minoritaire, sociologiquement issu de populations déplacées volontairement pour des raisons économiques. Les populations musulmanes de lEurope occidentale hésitent entre deux voies, un communautarisme néo-ethnique et lintériorisation dune religiosité laïque. Le premier choix heurte de plein fouet léquilibre douloureusement construit dans notre pays. Gilbert Grandguillaume illustre parfaitement cette voie par une citation : « Je ne suis pas algérien, je ne suis pas français, je suis musulman ! ». Lactualité sportive en a aussi rendu compte lorsque de jeunes banlieusards, Français dorigine maghrébine, ont perturbé le match de football France-Algérie en présence du Premier ministre, Lionel Jospin et de plusieurs membres du gouvernement, huant lhymne national, la Marseillaise, et obtenant linterruption définitive de la rencontre sportive. Pour le philosophe Henri Peña-Ruiz, lamalgame entre les concepts didentité et de culture réduit à la religion, musulmane dans le cas cité, entretient une confusion nuisible au débat de société. En fait, Olivier Roy constate que les populations dorigine musulmane en Europe se ré-islamisent sous la forme dune acculturation où lislam devient primordial. La seconde voie, celle dun islam laïcisé, intégré et intégrant la séparation du domaine religieux et du domaine public est affirmée par les propos du grand mufti de Marseille, Souhieb Bencheick qui apparaît comme linterlocuteur idéal dun dialogue apaisé entre lislam de France et lEtat laïque. Ce débat est desservi par léchec politique du mouvement « Beur ». Ce terme issu du verlan (parler à lenvers) où arabe se dit « rebe » puis « beur ». En effet, le mouvement revendicatif de la génération « beure » et « touche pas à mon pote » a largement échoué, car ces jeunes dorigine musulmane des années 1980/90, revendiquant légalité et se réclamant des principes de 1789, nont pu accéder à des débouchés politiques représentatifs. Olivier Masclet remarque que les partis de gauche se sont désintéressés de ces jeunes militants formés politiquement et responsables associatifs dans les cités. Dès lors, ces héritiers potentiels déçus se sont retirés du jeu politique et associatif. La nomination de secrétaires dEtat dorigine musulmane par le Président de la République, Jacques Chirac, lors de la mise en place du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a soulevé de nouveau lespoir dune reconnaissance politique par la droite. Toutefois, comme le remarque Hakim El Ghissassi, la publication des listes de candidats aux élections régionales et européennes prévues pour 2004 prouve la mise à lécart des candidats dorigine musulmane tant par la droite, que par la gauche. De déception en déception, les efforts des jeunes franco-maghrébins ayant réussi scolairement et sétant investis dans la voie dune intégration par le biais de lappropriation des valeurs de 1789 ainsi que de lengagement associatif et politique restent léchec le plus marquant de ces deux dernières décennies. Depuis, les nouvelles jeunes générations se sont détournées de laction politique, des idéaux révolutionnaires pour retrouver une forme dislam idéalisé, mythique. Cependant lEtat laïque peut-il résoudre les problèmes posés par lintégration des populations immigrées, banlieues sensibles, jeunes difficiles, par un dialogue avec un islam institutionnalisé ?
Si la République investit ses forces politiques, administratives, économiques et humaines sur le moyen terme avec la volonté de « casser les cités » au profit dune véritable intégration, alors nous pourrons voir sédifier une nouvelle société française enrichie par lapport dun islam français laïcisé. En cas contraire, la fracture sociale, religieuse, ethnique sapprofondira, les affrontements seront de plus en plus sévères. La société française dans son ensemble pâtira de cet échec. Le problème, malgré le phénomène particulier des révoltes de banlieues en France, développe en réalité une dimension européenne. Sous limpact de limmigration musulmane, en particulier pour les trois anciennes grandes puissances coloniales – la Hollande, la Grande-Bretagne et la France – les difficultés générées par cette immigration, par lintégration et les revendications politico-religieuses deviennent cruciaux et déterminants en matière électorale avec lémergence de mouvements populistes solidement implantés marquant le rejet et les peurs dune partie importante de la population des pays daccueil. »